
Le foyer pour requérants asile des Tattes à Vernier, tout près de Genève héberge quelques 600 personnes. C’est le plus grand centre de requérants d’asile en Suisse. Des hommes, des femmes et des enfants entassés dans des pièces trop petites. Certains attendent une décision du Secrétariat d’Etat aux migrations sur leur dossier d’asile. D’autres ont reçu une réponse négative et attendent leur renvoi.
La nuit du 17 novembre 2014, les ailes I et J des Tattes ont pris feu. Elles accueillaient 189 personnes. C’est la panique dans ce lieu surpeuplé. Les secours tardent à arriver. Certains se jettent par la fenêtre. Un jeune érythréen décède suit à une intoxication. Quarante personnes sont blessées, certaines gravement. Le rapport des pompiers décrit les défaillances au niveau sécuritaire du bâtiment n’était pas aux normes.
Une enquête pénale contre l’institution qui gère le bâtiment est en cours. L’Etat de Genève devra répondre de ses responsabilités. Les auditions ont lieu ces jours-ci au Ministère public genevois. Mais même l’incendie n’arrête la machine à expulsions. La peur au ventre reste, aucun sursis n’est accordé. Le renvoi d’Ayop, un des blessés, est prévu pour la fin du mois de mars. Destination: Espagne. C’est par l’Espagne qu’il est entré en Europe.
C’est là que, selon le Règlement Dublin, ses motifs d’asile doivent être examinés. La Suisse pourrait demander la clause de sauvegarde et exiger que son renvoi ne soit pas exécuté. L’Etat de Genève n’utilise ni cette marge de manœuvre, ni celle qui permettrait à Ayop de laisser passer le délai Dublin. Si Ayop est encore sur sol suisse le 1er avril 2015, c’est la Suisse qui doit s’occuper de sa demande d’asile. Si il est expulsé, par contre, personne ne sait si l’Espagne prendra en charge son suivi médical lourd.
Autour d’Ayop, la solidarité s’organise. Un comité de soutien toujours plus nombreux a récolté près de 2’200 signatures pour demander à Genève de ne pas expulser Ayop ainsi que les autres victimes de l’incendie des Tattes. Car l’Etat a le devoir de les soigner et de les entendre en tant que témoins pour établir les responsabilités de l’incendie.
Hier, à l’aéroport, une trentaine de manifestants pacifiques ont bloqué le passage qui conduit à la sécurité sous le slogan « Stop au renvoi ». Le groupe a été malmené par la police, certains ont été menottés mais vite relâchés. Le soir, au moins 200 personnes se sont rassemblées sur une place publique pour demander qu’Ayop ne soit pas renvoyé. Car Ayop hier n’a pas décollé, il s’est battu. Du coup, il se retrouve sous le coup d’une procédure pénale pour avoir refusé son expulsion Il est encore sur le sol genevois bien qu’incarcéré et sous la menace d’être expulsé en Espagne de force.
AYOP SE LÈVE TÔT, HEUREUSEMENT…
Ayop est un lève-tôt, dit son avocat. Heureusement pour lui. Car ce n’est que grâce à cela que la police ne l’a pas trouvé, quand elle est venue le chercher tôt ce matin du 26 mars 2015.
Mais la Déesse de la Fortune n’est à vos côtés qu’une fois, généralement. Ayop, ce n’est que ce matin très tôt que la Déesse l’a protégé. Elle n’était pas là, à ses côtés, quand la nuit du 16 au 17 novembre il a dû se défenestrer du troisième étage du centre pour demandeurs d’asile des Tattes, à Genève, pour échapper aux flammes.
En se jetant de la fenêtre, Ayop s’est grièvement blessé. Lui comme une quarantaine d’autres personnes. Un jeune érythréen, lui, a eu moins de chance. Il y a perdu la vie. Cela ne faisait que quelques mois qu’il était en Suisse. Il a survécu à la Méditerranée. Pas à la Suisse.
Ayop est sous traitement médical pour les suites de l’incendie.
Ayop est entré en Europe en passant par l’Espagne. Le Règlement Dublin dit: c’est en Espagne qu’Ayop doit voir sa demande d’asile traitée. La Suisse a jusqu’à lundi prochain pour exécuter son renvoi vers l’Espagne. Elle peut aussi y renoncer, selon le règlement Dublin. Genève pourrait s’opposer à l’exécution de ce renvoi. Genève a le devoir de s’y opposer. Mais Genève a préféré le silence, la non-réponse aux 2’200 signatures de citoyennes et citoyens qui ont été choqués d’apprendre que le Département dirigé par M. Maudet voulait le renvoyer. C’est moi qui ai centralisé la récolte des signatures. J’attendais tous les jours une réponse du Conseil d’Etat. Une réponse qui n’est jamais arrivée. Car peut-être, en sourdine, on préparait la meilleure stratégie pour arrêter Ayop.
Ayop est un demandeur d’asile dont le dossier devrait être traité par l’Espagne. Mais Ayop est aussi une victime de ce terrible incendie survenu peu avant Noël. C’est pour cela qu’à 10 heures il devait se rendre au Ministère public. Pour être entendu comme témoin. C’est là que son avocat l’attendait.
Là où Ayop n’est jamais arrivé.
Car Ayop, entre-temps, a été arrêté par la police. Quand la Déesse de la Fortune l’a abandonné à son sort. Ayop se lève tôt, et a très tôt quitté son lieu d’hébergement. Mais aujourd’hui il aurait dû se rendre au Ministère public. C’est pour cela qu’à 9 heures il retourne aux Tattes. Toutes les victimes ont décidé de se donner rendez-vous aux Tattes pour aller ensemble au Ministère public.
Tous y étaient. Sauf Ayop.
Un agent de sécurité le reconnaît, quand Ayop retourne aux Tattes. Il appelle la police. La police répond présent. Ayop est arrêté et amené dans un poste de police. Il sera interrogé, sans avocat. Son avocat, lui, est en train d’écouter les auditions au Ministère public.
Des citoyens se mobilisent, vont à l’aéroport. Ils seront arrêtés, mais vite relâchés. Ayop, lui, sera amené jusqu’à l’avion. Il résiste. Le comandant de bord refuse de l’embarquer. Sursit. Ce n’est pas sur ce vol qu’Ayop sera envoyé en Espagne.
Les auditions continuent au Ministère public. Ayop ne pourra pas témoigner. Pourtant, ce sont les témoignages comme celui d’Ayop qui permettront de savoir ce qui s’est réellement passé lors de l’incendie des Tattes. D’établir les responsabilités. L’Etat de Genève est aussi incriminé dans cette affaire. Car le rapport des pompiers dit clairement qu’aux Tattes « des problèmes techniques ont été constatés », que les « fenêtres étaient condamnés par des vis » et « les exutoires de fumées sous-dimensionnés ».
Ayop a le droit d’être entendu. A le droit de rester à Genève tant que la justice ne fait toute la lumière sur cet événement tragique. Il a aussi le droit d’être indemnisé correctement pour le tort subi. L’Etat a le devoir de s’occuper de son état de santé. Délai Dublin ou pas.
L’avocat d’Ayop expose à la presse et aux personnes venues en nombre pour crier « Stop renvois. Ayop restera » que demain Ayop pourra être mis sur un autre avion au départ de l’Espagne. Ou alors qu’il pourra être détenu à Champ-Dollon, car il n’a pas collaboré avec les forces de l’ordre lors de son renvoi, ce qui lui vaut une sanction pénale. Ou être mis en détention administrative, en attente d’un renvoi, par vol ordinaire, ou par vol spécial.
L’avion qui emportera Ayop en Espagne n’emportera pas seulement un jeune homme. Il emportera aussi une victime et un témoin. L’Etat de Genève pense ainsi pouvoir se décharger de toute responsabilité. Dans son aveuglement, il ne voit pas que les habitantes et habitants de Genève sont toujours plus nombreuses et nombreux à se mobiliser. Pour des conditions d’hébergement dignes. Contre les bunkers. Contre le renvoi d’Ayop.
Si la Déesse de la Fortune devait ne plus être aux côtés d’Ayop, des citoyens en colère le seront. Pour que justice soit faite.
Cristina Del Biaggio
http://www.asile.ch/vivre-ensemble/2015/03/27/ayop-se-leve-tot-heureusement/