Disons d’abord que rendus à ce point, Alexis Tsipras et son cabinet de Syriza n’ont plus rien à perdre. La preuve est faite que leurs vis-à-vis de la Zone euro n’ont pas la moindre intention d’agir de bonne foi et que leur objectif est de punir et d’humilier la Grèce, non de l’aider. En conséquence, je propose presque sérieusement qu’ils devraient faire à la Zone euro la proposition suivante:
1. Ils présentent au Parlement grec dans les 48 heures le «compromis» humiliant et inefficace que leur imposent l’Eurogroupe et le Conseil.
2. Ils appellent un vote libre des députés sur le sujet, sans se prononcer publiquement ni pour ni contre.
3. Pour favoriser quand même l’adoption de l’accord, ils invitent deux ou plusieurs des représentants suivants de l’Union à venir le défendre en personne face aux parlementaires de la Vouli: Mme Merkel, M. Hollande, M. Juncker, M. Dissjelbloem, M. Schultz. Ils leur demandent en particulier de s’expliquer sur les éléments suivants:
a- Pourquoi il est préférable de prêter à la Grèce des dizaines de milliards avec intérêts pour rembourser d’autres prêts que de suspendre simplement les paiements le temps que l’économie se refasse une santé, comme cela avait été consenti à l’Allemagne en 1953.
b- Pourquoi la Grèce doit fournir maintenant des «garanties de sérieux», alors que le gouvernement de Syriza s’est clairement comporté depuis son élection de façon nettement plus responsable et plus démocratique que les deux qui l’avaient précédé, à qui l’UE avait fait une confiance non méritée.
c- Pourquoi le fait d’appauvrir le peuple et de spolier les biens de l’État par des hausses de TVA (qui ne pourront sans doute pas être perçues), un chambardement brouillon et trop abrupt du régime de retraites et des privatisations en catastrophe offre une meilleure garantie de sérieux que l’adoption accélérée de véritables réformes structurelles.
d- Pourquoi il est si important de faire primer des règles administratives jamais votées par les peuples de l’Union et appliquées par des fonctionnaires non élus sur une volonté démocratique exprimée deux fois (par élection et par référendum) dans les derniers six mois.
4. Une fois ces explications clairement données, l’accord accepté par le Parlement et les négociations subséquentes complétées sur le plan de refinancement et de relance, le résultat final est soumis au peuple grec par référendum.
Plus sérieusement, non seulement les mesures réclamées n’ont aucun sens et ne démontrent en rien le sérieux du régime grec (seulement son asservissement), mais encore elles risquent fort de déstabiliser la seule équipe de gouvernement qui avait des chances de mener à bien de véritables réformes structurelles: refonte de la fonction publique, de la fiscalité (fin des exemptions aux armateurs et à l’église) et de la collecte des taxes et impôts, de la gestion des biens publics, des services de statistique et de contrôle du budget, rationalisation sans coupures mortifères des services sociaux, etc.
Un bon point qu’il faut accorder à Mme Merkel. Elle admet que «la question de confiance n’est pas entièrement résolue». Sauf qu’elle le comprend à l’envers. On ne voit pas, en effet, comment la Grèce peut continuer à faire confiance à cette bande d’olibrius de la Zone euro, qui changent sans cesse les règles du jeu et augmentent stupidement des exigences déjà irréalistes, strictement pour satisfaire leurs préjugés locaux et leurs intérêts électoralistes. La logique des «grexitomanes» est impeccable: «Nous n’avons pas confiance dans le gouvernement grec. Regardez comme il nous a trompés en 2009 et 2011!» Et la minute d’après: «Il faut que ce radical de Tsipras démissionne et que le pouvoir revienne aux anciens partis modérés.» Qui sont, bien sûr, ceux qui étaient en poste en 2009 et 2011!
On a eu beau dire «Ouf!» ce matin, il faut par ailleurs être conscient des prochaines péripéties inquiétantes qui guettent l’Europe:
• l’élection espagnole en fin d’année, où le sort de Podemos est à double tranchant: ou bien le mouvement citoyen sort affaibli de la crise grecque et les espoirs d’un virage vers une Europe plus démocratique en prennent un sacré coup, l’Eurogroupe se sent libre d’appliquer le «remède grec» non seulement à l’Espagne, mais au Portugal, à l’Irlande, à l’Italie, pourquoi pas à la France tandis que se renforcent partout les europhobes de droite genre Front national et Aube dorée; ou bien les Espagnols serrent les poings et élisent un pouvoir populaire plus robuste que Syriza dans un pays aussi en crise, mais d’un poids économique sans commune mesure… et le psychodrame des dernières semaines recommence, mais à une tout autre échelle avec, notamment l’émergence tardive d’un axe Paris-Rome-Madrid face à une Allemagne d’autant plus dangereuse qu’elle se sentira poussée au pied du mur;
• le référendum anglais sur la sortie de l’Union européenne dans deux ans, où ce qui vient de se passer rend infiniment plus difficile la tâche de Cameron de garder son pays dans l’Europe… sans compter qu’il faut oublier définitivement l’idée d’une adhésion à l’euro, dont les Britanniques auront pu constater qu’elle est synonyme d’une abdication de leur souveraineté;
• un nouvel épisode de la crise grecque au plus tard dans trois ans, et encore, je suis optimiste, au vu du niveau insoutenable d’austérité qui est imposée à Athènes; cette fois la «solution» pourrait ressembler à ceci: sortie de la Grèce de l’euro puis de l’UE, répudiation totale de la dette, obtention de Moscou d’approvisionnements en pétrole et en nourriture contre des bases militaires russes autour de la Mer Égée et de l’Adriatique… On serait bien avancés avec un trou de 250 milliards et plus, une Grèce désendettée et russophile qui dans les cinq ans se trouverait mieux qu’aujourd’hui, Poutine mort de rire et les Américains furax.